Les rues que je traverse sont relativement calmes. Quelques noctambules marchent en groupe, une voiture passe de temps en temps. Rien ne semble indiquer que je suis suivi.
L’immeuble de Vincent finit par apparaître devant moi. C’est un bâtiment ancien, un peu décrépi, de quatre étages, avec une porte d’entrée en bois sombre et un interphone jauni par le temps. Il y a peu de lumière aux fenêtres, la plupart des habitants doivent être couchés.
Depuis la rue, je lève les yeux vers l’appartement de Vincent. Aucune lumière ne filtre derrière les rideaux tirés. L’endroit semble inoccupé.
Je me dirige vers l’entrée de l’immeuble et utilise la clé pour rentrer de manière totalement naturelle, comme si j’habitais là.
Le loquet tourne avec un léger clic, et j’entre calmement, refermant derrière moi sans précipitation.
L’intérieur est silencieux. Un hall étroit, à l’éclairage blafard, mène vers un vieil ascenseur hors service et un escalier usé par le temps. L’odeur de renfermé et de poussière flotte dans l’air, trahissant un immeuble à l’entretien négligé.
Je tends l’oreille mais je n’entends aucun bruit particulier. Seul un grésillement lointain d’une télévision quelque part au deuxième étage rompt le silence, ainsi qu’un léger frottement : sans doute un habitant qui tourne dans son lit ou qui bouge un meuble. Rien d’anormal.
Montant les escaliers avec précaution, j’arrive à l’étage de Vincent. Son appartement est au troisième, porte 3B.
Je m’arrête.
J’écoute.
Silence. Pas un son ne filtre derrière la porte.
Je me rapproche encore et approche mon oreille du bois.
Toujours rien.
L’appartement semble désert…
J’insère la clé sans bruit et la tourne lentement. Clic. La porte est maintenant déverrouillée.
J’attends, retenant presque ma respiration. Aucun bruit ne se manifeste de l’autre côté.
Prudemment, j’abaisse la poignée et entrouvre la porte de quelques centimètres, laissant juste assez d’espace pour observer l’intérieur sans exposer mon visage.
L’appartement est plongé dans une pénombre totale, mais mes nouveaux sens me permettent de mieux distinguer les formes que lorsque j’étais humain.
Devant moi, j’arrive rapidement à discerner un petit salon avec un canapé défait et une table basse encombrée de papiers et d’objets divers. Un fauteuil renversé sur le côté.
Une fine poussière danse dans l’air, visible grâce à la lumière extérieure qui filtre à peine à travers les rideaux et une odeur ferreuse, faible mais perceptible met tout de suite mes sens en exergue : du sang.
Rien ne bouge. Le silence est absolu. La pièce semble abandonnée … mais mon instinct me dit que quelque chose ne tourne pas rond.
J’ouvre la porte un peu plus, juste assez pour ne pas être gêné dans mes mouvements dans le cas où je devrais rapidement prendre la fuite. Toujours à l’extérieur, j’écoute de nouveau.
Il ne semble y avoir toujours aucun bruit et visiblement aucun mouvement. La présence de cette odeur est toujours là, légère, mais bien présente.
Après une vingtaine de secondes sans incident, je me dirige vers l’entrée pour chercher un interrupteur.
En tendant la main vers le mur intérieur, mes doigts en effleurent rapidement un.
Je l’active mais il ne se passe rien. Aucune lumière ne s’allume, comme si l’électricité était coupée.
La seule source de clarté reste cette faible lumière extérieure filtrant à travers les rideaux.
Je décide de sortir mon briquet de ma poche et de l’allumer. Sa flamme vacille légèrement, projetant des ombres mouvantes sur les murs. L’odeur de sang est plus subtile que celle de ma première chasse, mais elle est bien là. J’arrive, semble t-il à la contenir, du moins pour le moment.
Je me rends compte que je fais encore moins de bruit que ce que j’aurai voulu, comme si je lévitai à quelques mm du sol. L’obscurité est lourde et rend chacun de mes mouvements plus oppressants, malgré le silence de mes déplacements.
Mes yeux balaient la pièce plus en détails et je distingue des choses que je n’avais pas réussi à voir de l’extérieur : une chaise renversée et autre chose attire mon regard. Des traces sombres sur le parquet, comme des traînées irrégulières.
Je décide de lentement me diriger vers la fenêtre du salon pour tirer les rideaux de manière à ce que la lumière du lampadaire extérieure éclaire un peu plus la pièce.
Sur le chemin, un bruit infime me fait faire volte-face vers la pièce voisine : un grincement léger. Après un temps d’arrêt pour analyser la situation, et ne voyant toujours aucun mouvement, j’ouvre finalement les rideaux.
Une lueur blafarde provenant d’un lampadaire inonde la pièce. D’autres détails sont maintenant perceptibles. Le salon est plus qu’en désordre, un peu comme si quelqu’un avait retourné la pièce. Il ne fait maintenant aucun doute que les traînées sombres au sol sont du sang. Du sang séché.
Le canapé a un coussin éventré et la porte de la pièce voisine, qui semble être une chambre, est entrouverte. L’obscurité y est encore plus épaisse.
Je respire profondément tout en réfléchissant à ce que je vais faire ensuite. Je ne suis même pas certain d’être seul ici mais mis à part ce petit grincement, je n’ai rien vu ou entendu de suspect.
Avant toute chose, et n’ayant pas la capacité d’analyse nécessaire à ce moment précis, je décide de prendre quelques photos de mon environnement direct pour pouvoir les analyser par la suite. La lumière extérieure est faible mais sera suffisante pour quelques clichés. Je sors mon téléphone et commence par photographier les traces de sang séchées au sol ainsi que du canapé avec le coussin éventré en restant en alerte.
Au fur et à mesure de mes prises de vue, j’en viens à la conclusion que les traînées de sang semblent indiquer qu’un corps a été traîné et que le canapé éventré a été fouillé brutalement, comme si la personne recherchait quelque chose de bien précis.
Sur une photo faîte du canapé avec la table basse dans le champ, un autre détail m’apparaît : une tasse de café renversée s’y trouve. Le liquide séché semble dater de plusieurs jours.
Puis je décide de fouiller le salon discrètement, à la recherche du moindre indice intéressant qui pourrait me sauter aux yeux.
Je finis par mettre la main sur un carnet abîmé sous le canapé, une petite clé métallique cachée sous un coussin et un téléphone cassé derrière la table basse.
Je me redresse et feuillette à la va vite ce petit carnet : beaucoup de notes griffonnées à l’intérieur. Le nom d’un certain Elias revient plusieurs fois et enfin, sur la fin du cahier, je discerne une adresse à moitié lisible, une partie étant déchirée : seuls les mots « rue » et « quartier » m’apparaissent de manière lisible dans cette pièce si faiblement éclairée.
Je fourre rapidement la clé et le carnet dans une de mes poches intérieures et fait de même avec le téléphone ramassé après avoir constaté qu’il semble toujours être fonctionnel, malgré son écran fissuré.
Puis, pris d’un courage que je ne saurai expliquer, je m’approche tout doucement de cette porte qui mène vers la pièce d’où émane ce grincement en restant à bonne distance et je force sur mes yeux pour essayer de distinguer quelque chose à l’intérieur.
Une fois de plus, mes yeux s’habituent très vite à cette pénombre et tel un chat, j’arrive à discerner des formes avec les quelques rayons lumineux qui s’invitent timidement dans cette pièce.
Plusieurs meubles sont présents : un lit défait, une commode entrouverte, des vêtements éparpillés. Au sol, là aussi, une chaise renversée mais ce qui attire le plus mon attention, c’est cet autre détail juste à côté : … une silhouette qui semble accroupie, immobile.
Le plus dérangeant avec sa présence déjà oppressante, c’est qu’elle ne semble pas bouger, ni même respirer.
Ne sachant pas vraiment ce qui se trouve à quelques mètres de moi mais comptant sur mes nouvelles aptitudes pour déguerpir au moindre signe de danger, je sors doucement mon téléphone en prenant bien soin de désactiver le flash et en le mettant sur silencieux, avant de prendre une photo en direction de cette chose.
Au moment où je capture l’image, un frisson me parcourt. La silhouette n’a pas bougé mais l’atmosphère semble encore plus lourde, presque suffocante.
Mon instinct me hurle de faire demi-tour pour revenir au salon. Une terreur s’empare de moi comme je n’en ai jamais ressenti dans ma vie précédente. C’est clairement un signal de danger imminent, donc je décide de m’écouter et de faire demi-tour, en rangeant précipitamment mon téléphone, sans même regarder la photo. Je repasse par le salon en me dirigeant très vite vers l’entrée.
La silhouette semble être restée dans la pièce d’à côté, et aucun bruit ne se fait entendre.
Au moment où je ressors de l’appartement, je ressens une tension écrasante sur mes épaules.
J’ai quand même la présence d’esprit de refermer la porte d’entrée à clé, comme je l’avais trouvée en arrivant. Je tourne la clé à l’intérieur de la serrure en faisant bien attention de faire le moins de bruit possible.
Je descends quatre à quatre, les marches de l’immeuble qui mènent vers la sortie, et une fois que je me retrouve à l’extérieur, je prends une profonde inspiration pour essayer d’évacuer tout ce stress, avant de quitter le quartier en regardant chaque seconde autour de moi, si je ne suis pas suivi.
Tout semble calme. Juste le bruit lointain de la ville nocturne.
Une fois à bonne distance, je décide d’aller dans une petite ruelle vide pour sortir mon téléphone et regarder la photo que j’ai prise de cette créature.
L’image est sombre, mais en ajustant la luminosité, je finis par voir quelque chose.

Il s’agit d’une silhouette humaine assise dans l’ombre. Le visage semble être tourné vers l’objectif, mais ses traits sont flous. Quelque chose cloche. Il n’y a pas de reflet de lumière dans ses yeux.
Le corps semble anormalement raide, presque comme un mannequin ou une statue.
De nouveau, la même sensation de terreur qu’à l’intérieur, me traverse.
Totalement incrédule par ce que je vois sur cette photo, je décide de mettre mon téléphone dans ma poche, et d’ouvrir le carnet pour le feuilleter un peu plus en détails.
Les premières pages sont griffonnées de notes à l’écriture nerveuse et pressée. Beaucoup de phrases sont barrées, réécrites, comme si son auteur réfléchissait à voix haute en écrivant.
Quelques passages attirent mon regard plus que d’autres :
« Je les ai vus. Ils sont réels. Personne ne me croit, mais je sais ce que j’ai vu cette nuit-là. »
« Amélie dit que je devrais arrêter de creuser, mais je ne peux pas. Je dois comprendre. »
« Quelqu’un est entré chez moi pendant mon absence. Rien n’a disparu, mais… Quelque chose a changé. Je le sens. »
« Si je disparais, c’est que j’avais raison. »
Une phrase en particulier est entourée plusieurs fois, comme si la personne qui l’avait écrite voulait qu’elle saute aux yeux :
« Le masque tombe à l’hôtel Saint-Georges. Vendredi. Minuit. »
L’hôtel Saint-Georges… Un lieu que je ne connais pas, mais qui semble important.
Je tourne les pages du carnet de plus en plus frénétiquement en cherchant rapidement tous les passages où le nom d’Elias apparaît. Je repère quelques mentions, mais elles sont courtes et souvent incomplètes, comme si la personne avait voulu se censurer ou si elle avait peur d’écrire trop clairement ses pensées :
« Elias sait quelque chose. Je l’ai vu parler avec eux. Il joue sur les deux tableaux ? »
« Si je peux le coincer… » (Cette phrase s’arrête brusquement, l’encre semble baveuse, comme si sa main avait tremblé.)
« Ne PAS lui faire confiance. Il sait que je sais. »
Après l’avoir parcouru dans son intégralité en lisant en diagonale, je le remets dans ma poche et inspecte la petite clé. C’est une clé métallique assez simple, mais robuste. Sur son côté, une inscription est gravée : « B-17 ».
Aucune indication évidente sur ce qu’elle ouvre, mais cela pourrait correspondre à un casier, une consigne, ou peut-être un numéro de porte.
Ni une, ni deux, je saisis mon téléphone et envoie un message rapide à Elise, en m’y reprenant plusieurs fois tellement mes mains se mettent à trembler : « Urgent. Rdv où on s’est vu tout à l’heure, ou ailleurs ? »
En attendant sa réponse, je consulte l’heure sur mon téléphone et jette un coup d’œil autour de moi.
Il est un peu plus de 2h du matin. La ruelle est toujours vide, l’air nocturne est frais et humide. Aucune présence évidente, mais l’adrénaline me maintient en état d’alerte.
La ville est calme, mais pas totalement endormie.
Puis soudain, mon téléphone se met à vibrer. Elise vient de me répondre :
« Trop risqué là-bas. Va au « Point Noir », c’est à cinq minutes du centre. C’est un bar. Dis au barman que tu cherches une ombre. »
Je lui réponds presque instantanément : « Ok, j’arrive. »
Avant de mettre le cap vers ce nouveau lieu de rdv, je sors le téléphone récupéré dans l’appartement et essaye de le déverrouiller. Un code est demandé.
« Merde ! »
Je l’éteins et le remet dans ma poche avant de faire route vers Le Point Noir. Le temps presse et je ne veux pas faire attendre Elise.
La nuit est froide, et les rues sont relativement calmes à cette heure. Je reste attentif à mon environnement, vérifiant si je suis suivi, mais tout semble normal.
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